Auteur de L’Enfant aux deux langues, professeur au Collège de France, Claude Hagège milite pour que les enfants puissent apprendre dès l’école primaire deux langues étrangères, et pas forcément l’anglais en premier.
Pourquoi dites-vous que les enfants devraient apprendre plus tôt les langues étrangères ?
- Pour permettre à l’enfant de révéler ses capacités immenses. Jusqu’à l’âge de 6 mois, il peut distinguer finement toutes les nuances phonétiques qui différencient les langues. Puis, il perd peu à peu cette aptitude au fil des mois, faute de stimulation, probablement. Mais ce potentiel n’est qu’en sommeil, et pendant longtemps, un enfant demeure très réceptif. Il peut acquérir, en ce qui concerne la prononciation, des compétences linguistiques comparables à la maîtrise d’une langue maternelle, au moins jusqu’à onze ans. Il serait quand même dommage d’attendre l’entrée au collège pour l’initier ! Par la suite, il n’est pas trop tard, et nous pouvons apprendre de nouvelles langues à l’âge adulte. Mais les acquisitions reposent sur d’autres formes de travail, grâce à une bonne maîtrise de la grammaire et du lexique.
Vous recommandez d’introduire deux langues vivantes à l’école. Ce n’est pas un peu lourd ?
- Je pense, au contraire, que le contenu actuel des apprentissages à l’école est bien inférieur à celui que peuvent assimiler les enfants. Leurs capacités sont sous-exploitées. Il faut profiter de la période de grâce de leurs dix ou onze premières années pour leur apprendre des langues. Certes, la question du volume des heures de cours se pose. Mais il est possible de faire d’une pierre deux coups et d’enseigner, par exemple, la géo, l’histoire, pourquoi pas le sport, dans une langue étrangère.
Pourquoi dénoncez-vous que l’on enseigne l’anglais en première langue vivante ?
- Je respecte cette langue, ainsi que la culture anglaise ou américaine, bien sûr. Mais l’omniprésence de l’anglais entraîne la destruction d’une multitude de langues moins parlées et bientôt oubliées. Il faut sauver ces dernières pour assurer une diversité maximale, seule capable de garantir la richesse de la pensée.
Que préconisez-vous pour favoriser l’ouverture d’esprit des enfants ?
- Pour garantir très tôt cette ouverture d’esprit, il ne faudrait pas commencer par l’anglais à l’école, mais par une autre langue vivante. Ainsi en famille, chaque fois que l’on séjourne à l’étranger, ou si l’on se passionne simplement pour un pays, il est bon de consulter ensemble un manuel pour découvrir quelques mots, des expressions. A l’école de faire le reste en multipliant, par exemple, l’enseignement de certaines matières classiques en langues étrangères, ou les échanges d’enseignants entre pays européens.